3
La Force était partout, palpable, réconfortante comme un soleil.
Leia était étendue – sur un divan ? au beau milieu des plaines asséchées, couvertes de cristaux gros comme le poing, de l’ancien océan ? – et baignait dans la chaleur de la Force. Une chaleur qui, à la réflexion, était bien plus forte que les rayons d’un astre. Une chaleur qu’elle absorbait par tous les pores. Elle eut l’impression que son corps était devenu aussi transparent que les amibes Plasmars d’Y’nybeth la Sombre.
Quelqu’un était en train de lui dire quelque chose. Etant profondément endormie, elle fut incapable de comprendre l’enchaînement des mots.
Elle rêvait.
Elle était chez son père, au palais d’Aldera. Son bureau était un jardin d’hiver entouré de deux rangées de colonnes lisses et blanches comme la neige. Par les ouvertures, par-delà une petite pelouse et des eaux bleutées d’un lac, on voyait des plaines sans fin aux longues herbes incessamment balayées par les vents. L’odeur presque écœurante de l’herbe parvenait jusqu’au palais, transportée par les brises chaudes. Leia entendit alors le doux tintement des carillons installés entre les colonnes et le roucoulement des oiseaux. Des sons qui avaient bercé sa jeunesse. Son père était là. Elle était en train de lui présenter ses enfants. Jacen, Jaina et Anakin avaient grandi.
Ils étaient maintenant adolescents et leurs traits étaient ceux que Leia avait toujours imaginés.
– Ma fille, je te félicite. (Bail Organa tendit la main pour caresser les épais cheveux châtains de Jaina. L’anneau d’or passé à l’un de ses doigts se mit à briller comme un éclat ultime arraché à un soleil mourant.) Que leur as-tu donc appris, à ces jeunes Jedi de la Maison Organa ?
– Je leur ai enseigné l’amour de la justice, père. Comme vous, vous avez su aimer la justice. (La voix de Leia semblait profonde et posée dans la lueur du couchant qui baignait à présent le bureau.) Je leur ai appris le respect des droits de tous les êtres vivants. Je leur ai appris que la loi est au-dessus de la volonté d’un simple individu.
– Mais nous avons passé ce stade depuis longtemps ! (Anakin venait de prendre la parole, de sa voix haut perchée d’adolescent. Un terrible sourire lui barrait le visage, une étrange lueur brûlait au fond de ses yeux bleus comme le cristal, un sourire et une lueur que Leia n’avait jamais vus chez lui.) Nous sommes des Chevaliers Jedi. Nous détenons le Pouvoir.
Le garçon fit un pas en avant et trancha son grand-père en deux. La lame de son sabrolaser projeta un faisceau écarlate dans les ténèbres.
Leia fit un bond en arrière quand les morceaux du corps de son père s’effondrèrent. Elle poussa un hurlement silencieux. Pourquoi n’arrivait-elle pas à crier par-delà le pesant manteau du sommeil ? Le cadavre de Bail Organa reposait dans l’ombre. Là où la lame était passée, entre le thorax et le pelvis, les tissus avaient été cautérisés. Un mince filet de liquide marron s’écoula sur les carreaux de marbre jusqu’aux pieds de la princesse. Cette dernière cria quelque chose mais fut incapable de comprendre ce que c’était. Anakin, Jaina et Jacen se tournèrent pour la regarder.
Tous trois tenaient leur sabrolaser à la main. Trois lames rouges étincelantes, trois colonnes de puissance absolue, se reflétant comme six flammes incandescentes dans leurs yeux de démons.
– Nous sommes des Jedi, dit Jaina. Il n’existe pas de loi pour nous. Nous pouvons faire tout ce que nous voulons.
– C’est le don que tu nous as fait, mère, dit Anakin. Nous sommes Jedi parce que tu es Jedi. Nous sommes ce que tu es. (Il se tourna pour contempler les morceaux du corps de son grand-père. Les yeux de l’homme étaient figés dans une expression de choc. L’anneau d’or brillait toujours sur le doigt tendu de sa main.) Et puis, ce n’était pas vraiment ton père.
– Non ! Non ! hurla Leia.
Les images s’estompèrent dans les ténèbres et elle entendit la voix de Luke.
– Apprends à utiliser la Force, Leia. Il le faut.
– Jamais !
– Il le faut !
Elle ne put affirmer qu’il s’agissait bien de la voix de Luke. La chaleur de la Force la réconforta mais c’était comme si le contact s’établissait par l’embrasure d’une porte ou d’un hublot. Leia demeurait dans l’ombre et cette ombre était glacée.
Elle entendit qu’on bougeait derrière elle et ouvrit les yeux.
Elle avait connu, à une époque, un homme appelé Greglik. Il pilotait un remorqueur spatial reconditionné pour le compte des forces rebelles. C’était le temps où il leur fallait à tout prix aller de planète en planète et devancer la Flotte Impériale de l’amiral Piett. Greglik avait été un bon pilote mais il avait une fâcheuse tendance à abuser des stupéfiants. Sa dépendance avait atteint un tel niveau qu’il avait été impliqué dans une stupide collision avec un astéroïde qui avait causé la mort de dix-sept pilotes de la chasse Rebelle.
Elle se souvenait de lui à présent. Une nuit, dans le Quartier Général temporaire établi sur Kidron, alors que tous s’attendaient à devoir répondre à une attaque, Greglik lui avait parlé de son problème de dépendance.
Il estimait que le mélange de drogues devait lui permettre d’atteindre un état mental susceptible de pallier toutes les sautes d’humeur dont il souhaitait ardemment se débarrasser.
– Quand on n’a pas le moral, rien ne vaut un petit coup de stimubril, avait-il déclaré. (Ses yeux bruns étaient rêveurs, comme ceux d’un homme se remémorant son premier grand amour.) Les choses prennent une nouvelle jeunesse, d’un seul coup. On a l’impression d’avoir le corps entièrement refait à neuf et que votre futur vous tend les bras. Et puis, pour toutes ces nuits au cours desquelles la colère me monte des pieds, lorsque mon âme se révolte contre tous ces gens qui se sont attaqués à vous et qui vous ont conspué, il y a le pyrepenol. Deux injections de pyrep et vous voilà capable de cracher à la figure de ce destin qui vous fiche la vie en l’air. Quand on souffre pour la femme qui aurait pu vous sauver, le poison idéal c’est l’extrait de racine de tenho de Santheria, c’est tout doux, tout doux, comme un rayon de soleil effleurant le bas des nuages à la tombée du jour.
Il avait souri et le mépris de Leia pour cet homme s’était transformé en pitié, comme si elle avait compris, pour la première fois, qu’il se tuait la santé pour entretenir ses illusions. Il avait été un fort bel homme, blond et bronzé, avec des allures de dieu charmeur, mais il avait renoncé à toute forme de vie amoureuse, comme la majorité des toxicomanes, et tout courage l’avait abandonné à l’idée de s’impliquer dans une relation solide et durable ; il avait renoncé à l’idée même d’avoir des opinions personnelles à défendre.
– Mais il y a des fois, avait-il repris en souriant, où le seul moyen de vous maintenir à flot, c’est de prendre cette dope qu’on appelle le Doux Epanouissement. Ce qu’il y a de bien, c’est qu’on ne peut pas en être dépendant. Mais elle pourrait bien réduire toute la civilisation galactique à néant en moins d’une semaine…
– Il s’agit donc d’une drogue si mortelle ? avait demandé Leia.
– Ma chère enfant, avait répondu Greglik en riant, il n’existe aucune drogue qui soit si mortelle. Non. C’est ce qu’on vous force à vous infliger qui finit toujours par vous détruire. L’Epanouissement, c’est comme le sommeil. Un tout petit peu – une ou deux gouttes, peut-être – et c’est exactement comme si vous veniez de vous réveiller. Ça correspond à ce laps de temps pendant lequel votre cerveau n’est pas encore prêt à assumer les activités de la journée. Vous êtes assis, un peu hébété, au bord du lit dans Votre pyjama et vous vous dites : Je me mettrai en route quand je m’en sentirai capable. Mais, bien entendu, vous ne vous mettez jamais en route. Si vous forcez un peu plus la dose et que vous prenez cinq gouttes, là, alors, c’est parfait. Vous restez indéfiniment assis, recroquevillé sur vous-même, parfaitement à l’aise, sans penser à rien, et vous vous contentez de regarder les toiles d’araignée se mettre à tournoyer et les mottes de poussière dessiner des motifs sur le sol. Votre esprit est parfaitement clair, vous comprenez ? Mais le reste de votre corps refuse de se mettre à fonctionner. Avec sept ou huit gouttes, vous êtes complètement paralysé. Eveillé mais immobile, incapable de bouger comme ces matins quand vous ouvrez les yeux et que le reste de votre corps est encore endormi. C’est une bonne façon de passer le temps et de survivre quand vous savez que chaque journée va vous apporter son lot d’ennuis et de tracas et que vous préférez ne pas y songer.
C’est cela, c’est comme de voir ton propre monde détruit et savoir que tous ceux que tu connais sont morts, avait pensé Leia à l’époque. Elle, sa thérapie avait été d’aider Luke et Yan à s’échapper avec les plans de l’Etoile Noire, de mettre en route la succession d’événements qui avaient eu raison du Grand Moff Tarkin et qui avaient transformé la super arme spatiale tant chérie par l’Empereur en poussière stellaire.
Elle avait fini par changer de sujet et, quelques semaines plus tard, Greglik s’était fait tuer.
Leia n’avait plus pensé à lui, ni à la conversation qu’elle avait eue avec lui, pendant des années.
Mais ses mots lui étaient revenus à l’esprit quand elle avait entendu derrière elle les bruits caractéristiques d’un cadenas qu’on déverrouillait, d’une porte qui s’ouvrait et d’un bruissement d’étoffe sur le sol. Leia essaya de tourner la tête, prise de panique, mais n’y parvint pas.
Il lui était impossible de bouger.
L’Epanouissement, pensa-t-elle.
Et la panique l’envahit pour de bon.
Quelqu’un était en train d’approcher du divan sur lequel elle était étendue. La lourde tenue de cérémonie qu’elle portait lors de sa rencontre avec Ashgad pesait toujours sur elle comme une chape de plomb. Il y avait une porte, ou un panneau d’acier transparent, qui perçait le mur à ses pieds. Les rayons du soleil, tel un trapèze de lumière blanche, tombaient sur les genoux de la princesse. La chaleur sous les plis de la robe de velours en devenait intolérable. Le mur autour de la porte était en permabéton gris. On avait négligé de l’enduire et il avait gardé sa couleur brute. Par l’ouverture, elle vit une terrasse pavée entourée d’un muret. L’air était lourd, comme chauffé à blanc par l’agressive lumière solaire.
Il y eut de nouveau un froissement de vêtements. Leia sentit la vibration d’une main qui se posait sur l’un des accoudoirs sculptés du divan. Les pieds du meuble craquèrent légèrement sur le sol de béton quand on le tira en arrière, en dehors du rectangle de lumière, vers une zone plus ombragée de la pièce.
Chaque atome du corps de la jeune femme voulut se mettre à crier, luttant pour se forcer à se lever, pour se forcer à se battre… pour au moins essayer de tourner la tête. Et chaque atome de Doux Epanouissement se propageant dans son système se mit à rire de bon cœur en la maintenant paralysée.
Le divan cessa de bouger.
Lève-toi ! Lève-toi ! Lève-toi !
Dzym fit le tour du canapé. Il se planta devant elle et l’observa de ses grands yeux dénués de toute couleur. (Mais, à bord du vaisseau, ils étaient bruns ! J’aurais juré qu’ils étaient bruns !) Leia découvrit que la peau du cou du secrétaire, que l’on voyait par le col dégrafé de sa longue tunique grise, était brune avec des reflets violets, très brillante, et légèrement articulée. Sa peau ne ressemblait en rien à celle d’un humain, elle était chitineuse. Quand Dzym s’assit sur le divan à côté d’elle, elle se rendit compte que la peau de ses poignets, visibles entre le bas de ses manches et le haut de ses gants, était identique.
Il vit qu’elle était en train de le détailler et se mit à sourire, passant une très longue langue pointue sur ses dents brunes et acérées. Tout en soutenant le regard de Leia, Dzym tourna le buste pour qu’elle ne puisse plus voir ses mains. Elle entendit qu’il enlevait ses gants et sentit qu’il posait ses mains sur son bras gauche. Le secrétaire prit la main de la princesse entre les siennes.
Cette sensation de noyade, cette douleur lancinante dans la poitrine étaient similaires à ce qu’elle avait ressenti dans la salle d’audience du Boréalis. Un froid glacial envahissant tout son être. L’impression que le moindre souffle lui était arraché.
Je suis en train de mourir, se dit Leia. Elle vit les fines lèvres sombres du secrétaire s’écarter eh ce qu’elle comprit être à mi-chemin entre le sourire et le soupir de contentement. Il semblait heureux, comme à bord du vaisseau amiral.
Il se leva et vint se poster derrière elle. Il écarta les cheveux de la jeune femme et posa ses mains de part et d’autre de son cou. Elle sentit comme une décharge électrique, quelque chose de tranchant qui n’était ni douloureux ni glacé mais bien plus terrifiant que tout ce qu’elle avait déjà eu l’occasion de ressentir.
S’il vous plaît, assez… pensa-t-elle.
Yan… pensa-t-elle.
Tu as intérêt à m’achever, espèce de parasite ignoble, parce que si tu ne le fais pas, je jure sur la tête de mon père que je tordrais ton cou répugnant, pensa-t-elle.
Et elle se sentit avalée par les ténèbres.
Des voix se mirent à crier par les canaux de la Force.
Des centaines de voix. Luke ressentit leur terreur et leur désespoir. Des gens qui meurent, pensa-t-il… Et il crut discerner, dans cette foudroyante décharge de panique, que Leia était parmi eux, seule et terrorisée. Mais dans cette clameur, il était impossible d’en être sûr.
Ses mains se mirent à courir sur les commandes de la console de communication. Il appela à l’écran les images distantes du Boréalis et de son escorte. Les rapports montraient qu’ils étaient en train de rejoindre les coordonnées de saut dans l’hyperespace pour rallier Coruscant. Un visuel à longue portée le confirma. Luke se demanda un instant s’il n’allait pas essayer de les contacter – les systèmes de transmission de l’aile-B étaient dotés d’un appareil de cryptage – mais il existait une possibilité d’être entendu par les agents de Getelles, ou quelqu’un d’autre, et la menace était trop importante. Il se contenta d’écouter le message audio et entendit la voix de Leia faire son rapport à Rieekan et à Ackbar : « … Notre entreprise a été couronnée de succès. Nous sommes en route pour la base. »
Y a-t-il un problème ailleurs ? se demanda Luke. Sur Pedducis Chorios, peut-être ? Ou alors sur une autre planète dans les environs ? Avec la Force, on avait souvent des difficultés à se faire une idée précise. Il se concentra sur les changements récents et les distorsions qui étaient survenus dans l’univers mais la peine et la panique qu’il avait ressenties étaient déjà en train de s’estomper. Impossible de savoir d’où elles étaient venues.
Il tourna le regard vers la masse violette de Chorios II, le soleil primaire de Nam Chorios, qui grandissait par le hublot. Cette pointe blanche éclatante qui dardait à ses côtés devait être la planète elle-même.
Luke se sentit submergé par un flux de la Force, un flux qui le pénétra et bombarda le petit vaisseau comme l’auraient fait des rayons gamma. Cela lui rappela la première fois qu’il s’était approché de Dagobah, quand il avait essayé de déchiffrer les données et les signes de vie qui lui parvenaient de ce monde étrange. Il se sentit légèrement dérouté face à une immensité qu’il n’arrivait pas à appréhender.
Je comprends que Callista ait pu être attirée par un endroit pareil…
Il empoigna les commandes et accéléra pour rejoindre l’orbite de la planète.
Celle-ci était clairement visible. Des étendues rocheuses à perte de vue, lisses comme de l’ardoise, séparées par des formations chaotiques de falaises aux sommets acérés, véritables murs vierges de toute érosion, que cela soit par la pluie ou les racines de plantes grimpantes. En d’autres endroits, les plaines asséchées des océans étaient couvertes, sur des milliers de kilomètres, par des cristaux aux multiples facettes qui donnaient l’impression que ce monde n’était qu’un immense diamant grossièrement taillé. Des montagnes de quartz filtraient les pâles rayons d’un soleil délavé et décomposaient sa lumière comme des prismes géants. Çà et là, à quelque distance des chaînes, se dressaient d’énormes cheminées rocheuses et solitaires, pareilles à d’infatigables sentinelles, dans ce crépuscule désolé.
Lumière et cristaux, immenses étendues vertigineuses au-dessus desquelles ne passait jamais un nuage et, par endroits, de petits îlots de verdure.
Les mains de Luke enclenchèrent rapidement les commandes de vol orbital puis il envoya, par subespace, un message à l’Inflexible et au Boréalis.
Aucune réponse. A l’heure qu’il était, les deux vaisseaux avaient dû passer en hyperespace pour regagner Coruscant.
La mort… Ce mot resurgit dans sa mémoire avec la douceur d’un chuchotement. Il se dit qu’il avait souvent côtoyé la mort et il venait de sentir sa présence. Les souvenirs qu’il en avait étaient lointains, comme dans un rêve, et il ne pouvait se rappeler d’où, et quand, lui était venue cette sensation.
Mais Leia était en vie. Quelque part, peu importe où, elle était en vie.
Il régla ses scanners sur la plus longue portée. Il ne vit que le témoin jaune du curieux assemblage qui servait de vaisseau à Seti Ashgad pour voyager d’une planète à l’autre, filer au maximum de sa vitesse subluminique, en direction de sa base.
A cette distance, une simple aile-B comme celle de Luke ne serait certainement pas repérée par les radars de l’autre appareil. Mais il ne fallait pas prendre de risques inutiles. Autant profiter du champ magnétique de la planète pour disparaître avant qu’Ashgad ne se rapproche.
Ne va pas à la rencontre d’Ashgad.
Pourquoi ?
Ne te rends pas dans le secteur de Méridian.
Luke jeta un nouveau coup d’œil à son scanner. Si proche d’Anteméridian, il valait mieux être prudent même si le Moff Getelles ne disposait pas de la puissance de feu, ou du courage nécessaire pour s’attaquer à la flotte basée à Durren. En effet, l’écran indiquait qu’aucun appareil à longue portée n’était venu troubler cette calme province de Méridian. Sur le moniteur clignotaient en orange, entre les étoiles, les témoins occasionnels des navettes, petits vaisseaux marchands et autres cargos légers vaquant à leurs piètres occupations.
Que savait donc Callista à propos de Seti Ashgad ?
Luke fit piquer son aile-B vers une orbite basse temporaire et programma les coordonnées de la ville de Hweg Shul dans son ordinateur de bord.
Il la trouverait, pensa-t-il. Il la reverrait.
Soudain, un canon laser à longue portée eut raison de l’écran déflecteur arrière et endommagea le stabilisateur. L’appareil n’était même pas encore sorti de la zone nocturne de la partie supérieure de l’atmosphère.
Si le vaisseau n’avait pas été entièrement détruit, c’était dû à la chance et, probablement, à une grande difficulté à viser une cible dont la volumétrie devait à peine être reconnue par les systèmes d’acquisition. Luke exécuta une manœuvre de dégagement, tourbillonnant, déviant et plongeant vers les étendues étincelantes et cristallines comme une boule de feu rebondissant sur les couches d’air. Un second tir toucha l’empennage de l’aile-B et, tout en essayant de redresser son appareil qui partait en vrille, Luke se rendit compte que les lances de lumière blanche partaient de la base des collines irrégulières d’ardoise qu’il apercevait dans le lointain.
Eh bien, les informations de Seti Ashgad, à propos de la masse maximale d’un appareil pour ne pas déclencher les tirs, ne valent pas grand-chose, songea Luke, sinistre. Est-ce que c’était cela dont Callista voulait parler quand elle disait qu’il ne fallait pas faire confiance à cet homme ?
Mais Ashgad ne savait même pas que Luke avait accompagné Leia pour cette mission et encore moins qu’il devait se rendre à Hweg Shul. Personne, à part Yan et Chewie, n’était au courant. Il agrippa les commandes et fit faire un bond à son chasseur pour échapper à un nouveau rayon de lumière étincelante et mortelle. Le sol, comme vitrifié par le soleil, sembla monter à vive allure vers lui.
Bon sang, se dit Luke quand il sentit que le manche répondait plus difficilement, c’est pas le moment de me laisser tomber !
Il restait, cela dit, suffisamment de latitude dans les stabilisateurs pour atterrir sans trop de dommages. Les éléments de propulsion antigravité étaient toujours en état de fonctionner. Le problème, c’était qu’en se posant, il devenait une cible plus facile. Luke fit une embardée à gauche puis à droite et plongea instinctivement sous un trait de laser. Ces postes devaient être contrôlés par des hommes. Aucun système automatisé n’offrait une telle flexibilité. Il s’agissait bien d’artilleurs et ils connaissaient leur métier.
Des falaises escarpées, des montagnes gigantesques et terrifiantes, véritables monuments de basalte et de cristal séparés par des gouffres sans fond, défilaient par le hublot. Il fit plonger le chasseur vers l’un de ces canyons et se faufila dans une crevasse particulièrement étroite au moment où un rayon mortel pulvérisait une colonne de pierre à moins de trois cents mètres sur sa gauche. Il évita de justesse la pluie d’éclats. Les vents stables et constants du haut de l’atmosphère avaient cédé la place à d’imprévisibles bourrasques et autres ouragans capricieux qui rendaient le pilotage au milieu des formations rocheuses particulièrement difficile. Doté d’une aile centrale démesurée, le chasseur B était impossible à contrôler. Luke fit un quart de tonneau pour éviter un nouveau rayon et égratigna la paroi de quartz gris. Les nombreuses facettes lui renvoyèrent la lumière du soleil comme des millions de miroirs essayant de l’aveugler.
Il était à présent hors de portée des postes de tir, caché par les montagnes, volant au creux d’un canyon vers les plaines désolées qui s’étendaient dans le lointain. Les stabilisateurs rendirent l’âme. Luke s’arc-bouta sur les commandes. Il fit alors appel à la Force pour maintenir l’appareil loin des parois rocheuses, pour passer entre les colonnes et les saillies de pierre et filer vers le triangle bleu de la bouche du canyon.
Trop bas. Pas assez d’altitude. Il ne serait jam…
Luke rassembla toute sa volonté, toute la puissance de la Force, pour faire passer l’aile-B au-dessus de la dernière crête de cristal rose et or. L’appareil perdait de l’altitude, perdait de l’altitude…
Le vent lui administra une gifle monstrueuse. Le vaisseau s’élança sauvagement et l’aile inférieure creusa une tranchée dans la plaine couverte de cailloux qui s’étendait à la sortie du canyon. Poussières, graviers et éclats de quartz l’enveloppèrent dans un tourbillon de chaleur. Meurtri et secoué, Luke tenait toujours les commandes, essayant d’y voir quelque chose dans cette tourmente et espérant que rien d’autre ne se dresserait sur son passage.
Ses espoirs firent long feu. Un énorme cristal transparent, de la taille d’un speeder, eut raison de ce qui restait de l’aile inférieure. L’appareil dérapa sur le côté et fit un tonneau. Les deux ailes latérales se plièrent et cassèrent. Luke craignit, pendant une fraction de seconde, de voir son harnais de sécurité lâcher et de se briser le cou contre la console. Mais les boucles résistèrent. Une légère explosion se produisit dans le cockpit indiquant que l’enduit étanche et la mousse expansée de sécurité étaient en train de se répandre. L’aile-B exécuta deux autres tonneaux et s’écrasa en envoyant voler poussière et fragments aux alentours.
Et puis le calme revint. Seules résonnaient les bourrasques de vent et la pluie de graviers cascadant sur la coque de l’appareil endommagé.
– Tenez, Votre Excellence.
Une main ferme aida Leia à se relever. On lui présenta une tasse, qu’on lui maintint devant la bouche pendant qu’elle buvait.
– Comment vous sentez-vous ?
Elle cilla plusieurs fois. Le divan avait été sorti sur la terrasse. Un soleil faible et étrangement coloré, passant par-dessus les murs de permabéton couleur de cendre qui se dressaient tout autour du périmètre, baignait les mosaïques vitrifiées du sol. Les rayons de l’astre tombaient sur un paysage angoissant et dénué d’arbres. Saillies rocheuses escarpées, colonnes de pierre, falaises et contreforts dominaient la maison sur trois de ses côtés. Ils encadraient, devant la façade, une immensité de graviers, comme si la mer s’était retirée des siècles auparavant en ne laissant qu’un lit solidifié de sel et de cristaux.
Ce sont tous ces cristaux qui doivent refléter la lumière solaire, se dit Leia en observant, tout autour d’elle, les veines de quartz enchâssées dans les flancs des falaises. Le petit astre ne délivrait qu’une pâle lumière dans l’océan bleu cobalt du ciel. Des étoiles lointaines brillaient dans les cieux même à la lueur du jour. A cause de l’éclat renvoyé par la multitude de rochers, il ne semblait y avoir d’ombre nulle part et, quand il y en avait, c’était une ombre confuse et délavée par la luminosité. L’air sec fouetta le visage de la princesse. L’intérieur de la maison devait bénéficier d’un microclimat qui maintenait un certain niveau d’humidité.
Elle abandonna l’observation de ces étendues étranges et tourna la tête. Elle rencontra alors le regard sombre et anxieux de l’homme qui s’était assis sur le divan à côté d’elle.
Il s’agissait du pilote de Seti Ashgad.
Voilà quelqu’un de gentil, pensa-t-elle. Pour une raison ou pour une autre – car leurs physiques étaient radicalement différents – il lui rappelait le pilote Greglik. De taille moyenne et assez mince, cet individu affichait un aspect ténébreux qui contrastait avec le physique flamboyant du pilote rebelle. C’était peut-être à cause de son nez, aquilin et élégant, ou alors des rides profondes qui se creusaient autour de ses yeux et qui témoignaient d’une vie chèrement défendue.
Ou alors, pensa-t-elle encore, il y a quelque chose de similaire dans le regard. La comparaison avec ce casse-cou de Greglik était tout de même hasardeuse. Les yeux du pilote d’Ashgad étaient ceux d’un homme qui n’aurait pas fait de mal à une mouche, ceux d’un homme incapable d’affronter quelqu’un qui tirerait, de manière éhontée, un quelconque avantage de lui. Un fugitif, songea Leia. Pas un fugitif comme Greglik qui irait chercher refuge dans la drogue – le pilote n’avait pas l’air en mauvaise santé – mais un fugitif qui ferait n’importe quoi pour échapper à sa condition s’il en avait l’occasion.
Mais quelqu’un de gentil.
– Ça va… Enfin, je crois que ça va… (Dzym n’avait-il été présent que dans son rêve ? La douleur tranchante qui lui avait vrillé le cou, les mains répugnantes qui semblaient aspirer hors de son corps toute essence vitale, tout cela évoquait l’étrange maladie qui s’était abattue sur le vaisseau amiral. Et puis, il y avait cette horrible impression qu’elle avait eue et qui lui avait fait penser qu’une autre créature était tapie sous les vêtements du secrétaire. Un soupçon éveillé par un mouvement furtif. Un mouvement qui n’aurait jamais dû se produire et qu’on avait prestement tenté de dissimuler.) Où suis-je ? Que s’est-il passé ?
Elle eut la sensation que ses pensées venaient de la quitter et qu’elles traînaient, en tas, dans un coin de la pièce. L’épuisement l’empêchait de se lever pour aller les ramasser.
– J’ai bien peur de ne pas pouvoir vous dire où vous êtes, Votre Excellence. (Le pilote avait l’air réellement désolé de ne pouvoir lui répondre.) Vous comprendrez qu’il est dans Votre intérêt de ne pas savoir. Mon nom est Liegeus Sarpaetius Vorn.
– Vorn… (Avec la plus grande des difficultés, comme si elle essayait laborieusement de construire un château avec des cartes molles, Leia tenta de se ressaisir.) Liegeus Vorn… Vous êtes le pilote de Seti Ashgad, c’est cela ? Et Dzym… Dzym était là… On est sur Nam Chorios, non ?
– Dzym était là ? (Il écarta la tasse vers laquelle elle tendait la main. Ses sourcils bruns se froncèrent.) Je pense que vous en avez bu assez, Votre Excellence. Ce qu’il vous faut maintenant, c’est un verre d’eau. Je vais vous chercher cela.
Il jeta le contenu de la tasse – Leia pensait sincèrement que c’était de l’eau – par-dessus le mur de la terrasse. La princesse se redressa et observa les gouttes étincelantes du breuvage dégouliner au ralenti le long des murs de la maison, le long du piton sur lequel la maison était bâtie et s’écraser sur les éboulis d’ardoise à deux cents mètres en contrebas.
– Restez bien au soleil, lui ordonna-t-il gentiment. (Sa voix était très douce, presque inaudible, très grave. C’était la plus belle voix qu’elle ait jamais entendue.) Je n’en ai pas pour longtemps.
Leia ne bougea pas d’un iota. Pas parce qu’il le lui avait demandé mais parce que la chaleur lui faisait du bien. Le soleil réparateur chassait cette terrible sensation glacée qui l’avait envahie.
Le Boréalis… songea-t-elle. Qu’est-ce qui a bien pu se passer à bord du Boréalis ?
Elle avait été malade. Le souvenir de l’engourdissement lui revint et avec lui l’impression que, une à une, toutes les parties de son corps et de son système nerveux étaient en train de l’abandonner. A moins que cela ne soit survenu que plus tard, quand Dzym était avec elle dans la pièce ?
Ashgad avait dû l’enlever à bord de son propre vaisseau pour l’emmener jusqu’ici. Elle ne se souvenait de rien. Le capitaine Ioa devait certainement penser qu’elle était morte. Dans ce cas, on aurait emmené sa dépouille à Coruscant. Pas ici.
Yan… pensa-t-elle, Yan doit se faire un sang d’encre. Et les enfants…
Peu à peu, d’autres éléments refaisaient leur apparition dans sa conscience.
Le témoin lumineux de la console de communication et personne à l’autre bout du fil.
Le soldat Marcopius remontant les coursives en courant.
L’amiral Ackbar, disant : « On dirait qu’il y a une fuite des informations au niveau du Conseil. » Le député Q-Varx, tapant d’un doigt sombre et boudiné le plateau en malachite du bureau de la salle d’audience de Leia, disant : « Tout a été arrangé pour Votre rencontre secrète avec Ashgad, Votre Excellence. Bien que cet individu n’occupe aucune position officielle sur sa planète, cette conférence devrait représenter une clé dans le commerce des ressources planétaires inexploitées, qui devrait bénéficier aux deux parties. »
Ne va pas à la rencontre d’Ashgad.
Ne te rends pas dans le secteur de Méridian.
Qu’était-il arrivé au Noghri ?
Cette pensée erra paresseusement dans son esprit. Elle se demanda si elle n’allait pas se lever pour voir si la porte de la pièce donnant sur la terrasse était verrouillée. A quoi bon, pensa-t-elle, verrouillée ou pas, cela ne fait guère de différence. La maison elle-même était bâtie sur les flancs d’une montagne escarpée dominant la désolation d’une plaine cristalline, au beau milieu d’une région complètement désertique.
Des voix s’élevèrent d’une pièce située à l’étage inférieur. Elle reconnut celle de Seti Ashgad.
– Il va falloir nous passer de Larm et parler directement à Dymurra. De toute façon, Larm est un idiot. Il n’a toujours aucune idée de ce dont nous avons besoin pour achever la construction de l’Infaillible. Des nouvelles par les canaux en subespace ?
Sa belle voix de baryton sonnait clair dans l’air sec. Larm, pensa Leia. Moff Getelles avait dans ses rangs un amiral nommé Larm. Elle l’avait rencontré à Coruscant, lors d’une réception donnée en l’honneur de la nomination de Getelles. C’était l’une des dernières réceptions à laquelle elle s’était rendue. Larm était droit, à cheval sur le règlement, poli et tiré à quatre épingles, ayant fait ses études militaires dans le respect de la hiérarchie. En clair, il passait son temps à lécher les bottes de Getelles, des gouverneurs et de tous les autres Moffs sans jamais se départir de ses manières de soldat aguerri. Il était monté en grade dans les rangs de la Flotte et était devenu l’homme de confiance de Getelles. Le visage sombre et prêt à exécuter les ordres du nouveau Moff, Larm avait obtenu son poste en passant devant plusieurs candidats autrement mieux qualifiés quand Getelles avait été nommé à Anteméridian.
Leia, en revanche, n’avait aucune idée quant à l’identité de ce Dymurra. Pourtant, le nom lui semblait familier.
Elle ne réussit pas à comprendre les mots qui furent murmurés à Ashgad en guise de réponse mais le ton ronronnant la traversa comme une flèche glacée au niveau du plexus solaire. Dzym. Elle regarda ses mains.
La base de son cou, à l’endroit des jugulaires, était toujours sensiblement irritée mais le courage lui fit défaut quand elle voulut y poser les mains pour s’assurer de son état. L’ombre froide de la mort hantait toujours ses pensées. Mais il y avait autre chose, comme une sensation de malaise après une nuit de cauchemar.
C’était pour cela qu’elle se sentait si faible.
Non, songea-t-elle, si je me sens faible, c’est parce qu’il y avait du Doux Epanouissement dans l’eau…
– Je suppose que vous avez raison. (La voix d’Ashgad était plus posée mais le ton était tout aussi pénétrant.) Trois synthédroïds ! Quand je pense au prix que coûte une seule de ces unités…
La voix de Dzym se fit un peu plus forte. Connaissant la manie d’Ashgad à faire les cent pas, Leia se fit la réflexion qu’il devait se trouver à une plus grande distance de son secrétaire qu’il ne l’avait été quelques instants auparavant.
– Il était impossible de faire autrement, monseigneur. Les synthédroïds représentaient la seule solution pour transporter la Semence de Mort à bord des deux vaisseaux sans que cela soit détecté.
La Semence de Mort ! Leia en eut le souffle coupé, comme si elle venait d’encaisser un choc physique.
Sept cents ans auparavant, cette peste avait décimé des millions de personnes. Sans discrimination, des secteurs entiers – qu’ils soient primitifs ou au fait de la technologie du vol spatial – avaient péri dans d’épouvantables conditions.
Ce fut l’aspect détendu du ton de Dzym qui galvanisa Leia et la poussa à passer à l’action. Elle se leva du divan, rassembla les pans de sa robe contre elle car le soleil n’émettait plus de chaleur suffisante et se rendit en titubant jusqu’au bord de la terrasse. Là, peut-être à vingt-cinq mètres en dessous d’elle, juste au-dessus de l’endroit où les murs de la maison se fondaient avec les parois de basalte de la falaise, s’ouvrait une autre terrasse. Celle-ci courait sur toute la longueur de la façade et s’incurvait pour se prolonger le long d’un piton rocheux. On avait apparemment importé du sol fertile dans d’immenses bacs de culture et toutes sortes de plantes y poussaient. Les lourds feuillages des vignes grimpantes étincelaient d’un vert étrange contre le gris des murs de permabéton. Une sorte de petit kiosque avait été érigé à l’une des extrémités de la terrasse. L’ombre qui régnait à l’intérieur était particulièrement dense. Un système fort complexe de tuyaux et de vaporisateurs diffusait de l’eau et permettait de lutter contre la sécheresse de l’air. Vu l’orientation d’Ashgad, Leia se dit que Dzym devait se trouver à l’abri sous le kiosque.
Il y avait un troisième individu sur la terrasse. Il était allongé sur un matelas gonflable noir et orange, installé sous une véritable batterie de pulvérisateurs d’eau. Leia eut un haut-le-cœur quand elle le vit et qu’elle entendit sa voix basse et gluante.
– Dzym a raison. (L’individu roula sur lui-même. La masse gélatineuse frissonna sur toute sa longueur. Douze mètres. C’était probablement le plus grand Hutt que Leia ait jamais vu. Il était massif mais ne souffrait pas d’obésité, comme Jabba. Il avait l’agilité et la vitesse d’un jeune mais possédait la taille d’un adulte.) Vous n’auriez pas pu passer au contrôle médical si vous n’aviez pas eu ces synthédroïds. Et puis, seuls des droïds sont capables d’emmener un vaisseau dans l’hyperespace sans avoir à programmer les coordonnées de sortie du saut.
L’hyperespace !
Marcopius. Ezrakh. Le capitaine Ioa. Ces pauvres enfants de sa garde d’honneur… C3 PO et D2…
L’écœurement et l’horreur l’envahirent. Ils laissèrent ensuite la place à une colère indescriptible.
– Oui, mais enfin tout de même, à cent mille crédits pièce !
– Un excellent rapport qualité/prix, dit le Hutt en haussant les épaules. Dymurra pense que la somme en vaut la peine. Je suis d’accord avec lui. Laisser Liegeus diffuser le message « Mission accomplie, nous rentrons pour Coruscant » n’aurait pas été suffisant, tout comme falsifier les transmissions du point de saut dans l’hyperespace. On n’aurait pas pu emmener les vaisseaux jusque-là. On n’aurait pas pu les détruire sans laisser traîner des débris qui auraient pu être des indices. Et puis, qu’est-ce que ça peut bien vous faire ? C’est Dymurra qui a payé pour les synthédroïds, pas vous !
– Et pour vous, c’est satisfaisant ? (Ashgad eut un mouvement d’impatience et se détourna de la rambarde pour faire face à la longue silhouette du Hutt.) Je comprends qu’avec une attitude pareille vous ne soyez plus à la tête de ce secteur, Beldorion.
– Enfin, gronda ce dernier, le prix n’a pas beaucoup d’importance quand on considère les résultats obtenus. Que sont trois cent mille crédits quand on peut effacer toute preuve de l’endroit où se trouve Son Excellence et de ce qu’il advient d’elle ? Dès que Rieekan aura plongé dans le coma, le Conseil va passer des jours entiers à tourner en rond en lui cherchant un successeur. Chaque membre va vouloir empêcher son voisin d’être promu comme dirigeant.
Il se rengorgea et produisit un rot de proportions cosmiques. Un filet de bave verte coula au coin de sa bouche et il laissa échapper une exhalaison d’une puanteur telle que les effluves remontèrent jusqu’à la terrasse où se trouvait Leia. Beldorion roula sur le côté et plongea sa minuscule main fortement musculeuse dans un récipient de porcelaine de la taille d’une baignoire, installé sur le matelas près de lui, pour y puiser un amuse-gueule rose orangé. Ashgad tourna la tête, dégoûté.
– Et n’allez pas me parler de ces histoires comme quoi je suis incapable de diriger cette planète investie par la Force, ajouta le Hutt la bouche pleine de petites choses grouillantes. Personne ne m’a forcé, moi, Beldorion le splendide, Beldorion aux Yeux de Rubis, à prendre ma retraite. J’ai gouverné ce monde bien plus longtemps que Votre pitoyable Empire Galactique. Et, croyez-moi, je l’ai bien gouverné. (Il enfourna une nouvelle poignée de choses indescriptibles dans son énorme bouche. L’un des amuse-gueule s’échappa et rampa jusqu’au bord du matelas. Beldorion le rattrapa d’un coup de langue.) Alors ne venez pas me dire que je suis gaspilleur ou paresseux. Je sais de quoi je parle.
Il leva une main, et Leia la ressentit tout de suite.
La Force.
Une tasse d’argent, qui devait être maintenue au frais quelque part dans l’ombre du kiosque, apparut en pleine lumière et dériva en flottant dans l’air jusqu’aux petits doigts jaunes et boudinés, couverts de bagues précieuses, de la main tendue.
Tout autour d’elle, Leia sentit un changement dans l’air, comme si les rayons du soleil s’étaient épaissis ou avaient modifié leur composition. Elle ressentit comme une démangeaison, un tourbillon de colère invisible.
Beldorion le Hutt avait bénéficié de l’entraînement d’un Chevalier Jedi.
Il y eut une perturbation dans la Force, un curieux phénomène, que Leia – peu habituée à ses pouvoirs de Jedi – ressentit comme le frottement d’une feuille de papier de verre à l’intérieur de sa boîte crânienne.
La jeune femme sentit ses genoux faiblir et, se tenant la tête à deux mains pour ne pas perdre l’équilibre, retourna jusqu’au divan d’une démarche hésitante due au poids de sa robe de cérémonie.
Le Boréalis envoyé en plein hyperespace, totalement aveuglé sans la moindre coordonnée, serait perdu à jamais. Mais si ce que disait Dzym était vrai, si la peste de la Semence de Mort s’était propagée à bord, il valait mieux que le vaisseau soit perdu.
Elle-même avait dû attraper la Semence de Mort. Elle secoua la tête. C’était impossible car, d’après les rapports médicaux, personne ne s’en était jamais remis.
Et le ministre Rieekan, son second siégeant au Conseil… Dès que Rieekan aura plongé dans le coma…
Il fallait qu’elle le prévienne. Il fallait qu’elle prévienne quelqu’un…
Elle se laissa tomber sur le divan, tremblant de tous ses membres, affaiblie et proche de l’état de choc. La panique et la rage luttaient dans son système contre la puissance du Doux Epanouissement qui lui embrumait l’esprit. Une rage la poussant à vouloir s’échapper, à tromper leur surveillance et à déjouer leur plan.
Et, en réponse à cela, la drogue sembla lui murmurer à l’oreille : Mais oui, bien sûr, tu vas t’échapper. Mais pas maintenant.
Quelque chose dans la poche de sa robe fît pression contre sa cuisse. Quelque chose de dur et d’inconfortable. Leia fronça les sourcils, essayant de se rappeler ce qu’elle avait bien pu emporter avec elle dans les lourds plis de sa tenue lors de sa rencontre avec Ashgad. La réponse était, bien entendu, rien. Les pans de velours du vêtement d’apparat étaient suffisamment pesants pour qu’on ne ressente pas l’envie de les alourdir davantage.
Mais, dans ce cas, qui avait bien pu glisser quelque chose à cet endroit, et quand ?
Elle plongea la main entre les plis et tâtonna à la recherche de l’ouverture pratiquée le long d’une des piqûres. En fonction de la personne que le porteur de la tenue avait à rencontrer, la poche pouvait servir à dissimuler un appareil enregistreur ou un blaster de petite taille.
Ses doigts engourdis par l’Epanouissement se refermèrent sur un cylindre de métal.
Son sabrolaser.